Michaele-Andréa Schatt : Notes /Août 2007
RAMEAU,
ÉPURE,
RUBAN,
OMBRE
Plier, souder, tordre, sertir, ornementer : la sculpture d’Antoine Petel se déploie dans l’espace sous des formes multiples, combinées. Le fer se courbe, s’invagine, dessine une sorte de cartographie utopique du vivant.
Faut-il parler de peinture dans l’espace ou plutôt de sculpture peinte, polychrome ? Écrire, c’est ici naviguer dans cet entre-deux, ou plutôt esquisser, dépeindre quelques moments de perception.
RAMEAU
— Petite branche d’arbre mais aussi subdivision d’une arborescence.
Rilke s’étonnait au printemps 1912 de « la paisible surabondance des formes ».
Petel recueille et transforme une esthétique proliférante de la représentation organique. Ses titres — Bourgeons, Feuilles, Graines, Arbre, Apicale... — le confirment : des idées aux images, de la grammaire au lexique….
Chez Henri Matisse, comme chez Ellsworth Kelly, le motif végétal occupe une place constante et centrale. Chez Matisse le dessin questionne le foisonnement et l’arabesque. Kelly, lui, recherche la découpe, le fil, le trait juste, l’arête sans ombre du motif. Antoine Petel joue de la ligne et de la couleur, de la torsion et de la mise en espace.
Nous fêtons le centenaire de l’Évolution créatrice de Bergson (1907). Dans ce livre, il développe le concept de « l’intuition» comme forme indéterminée de la pensée en mouvement et il y définit la notion d’« élan vital ». Bergson souligne la difficulté de penser philosophiquement le vivant face aux avancées de la science.
Dans une même interrogation, ce travail de plasticien réconcilie une pensée poétique du vivant avec une réflexion issue de la biologie. Il dessine l’arabesque ondulante et protéiforme d’un élan de vie. Matisse notait : « L’arabesque s’organise comme une musique : elle a son timbre particulier. »
Telle une structure filaire, ramifiée, réticulée, dessine un ensemble de liens, une biostructure, réceptive aux aléas humains. La sculpture ressemble à une passion des intervalles, boucles qui s’entrelacent, formes ouvertes, musicalité...
Antoine Petel interroge la plasticité du vivant : circonvolution, cellule, réseau, terminaison nerveuse...
ÉPURE
— Dessin à grande échelle ou en grandeur nature tracé pour aider à la construction d’un édifice ou au montage d’une machine.
—Dessin au trait qui donne l’élévation, le plan et le profil d’une figure.
Les sculptures d’Antoine Petel aident à la construction d’un édifice en ce sens qu’elles proposent au fil des séries, des modules, des diagrammes, des systèmes de représentation : spirales, arborescences, tablatures…
Le dessin est porté à l’excès, simplifié, épuré. Les traits sectionnent la surface plane pour trancher le visible. Tout ce qui ne peut pas être considéré comme contour est supprimé : les formes s’installent dans un entre-deux — un espace ouvert, une durée...
Elles offrent une modulation volumétrique par le jeu de l’espace et de la couleur, jeu des vides et des pleins.
Les surfaces sont encloses, sans ombres.
Sortes d’esquisses préalables à l’élaboration non pas d’une machine, mais d’un organisme vivant, d’un individu en devenir, germe, morphogenèse...
Dans une sorte d’utopie, Antoine Petel prend le réel en otage et l’y plie pour le rendre conforme à son projet.
En isolant un motif signe, figure générique, il manifeste avec un fil tendu mais ténu la fragilité de l’être.
RUBAN
— Étroite, délicate, cette bande mince de tissu permet d’orner et de structurer le vêtement.
Si le ruban se tend, se fige, se durcit, il prend un tout autre sens : il devient armature, ossature.
De la couture à la sculpture…
« Même comprimés, pliés et enveloppés, les éléments sont des puissances d’élargissement et d’étirement. » (Gilles Deleuze)
Parler de : sculpture enrubannée...
De plus, le ruban sert :
• à mesurer (mètre à ruban)
• à enregistrer (ruban magnétique)
• à fragmenter (scie à ruban)
• à isoler (ruban isolant)
• à relier (ruban adhésif)
Mesurer, enregistrer, fragmenter, isoler, relier sont autant d’opérations, de processus, de manipulations qu’Antoine Petel met en jeu dans son travail.
La torsion du ruban permet de façonner par une indolente ingéniosité la métaphore des liens, la complexité des variations qui mènent à l’hybridation.
OMBRE
« L’homme est le songe d’une ombre. »(Pindare)
— Zone sombre créée par un corps opaque qui intercepte les rayons d’une source lumineuse, mais aussi représentation d’une zone sombre en peinture.
Il n’y a pas ou peu d’ombre dans ce travail. Les couleurs traitées en aplat sont flottantes et solaires, habillées d’enfance...
Jaune de cadmium, lilas, vert Véronèse, rose... Le peintre-sculpteur a signé un renoncement au miroir, à la description. Il y substitue la mesure et l’étalonnage.
Il y a des ombres portées sur le mur : dessin grisé de la forme en négatif. Cette pénombre, cette mémoire en creux, fournit l’exemple constant d’une topographie variable des perceptions et des expériences.
Les vides sont ainsi animés par ces zones sombres, Petel n’utilise pas de clair-obscur, ses couleurs interrogent la lumière, le cercle chromatique… plus de terre d’ombre ni d’ombre brûlée.
La sculpture devient légère, fragile, la couleur, ondoyante.
Leon-Battista Alberti, dans son Traité de la peinture, recommande au peintre de s’exercer au dessin des sections des corps, dans De statua, il ne se propose pas d’imaginer l’ombre que pourrait faire un corps mais de définir, d’envisager, la perspective d’un corps en observant son ombre.
Il conclut : « la peinture est l’ombre de la sculpture ».
Pour Antoine Petel, passer de la peinture à la sculpture correspondrait donc au passage de l’ombre à la lumière...
Michaële-Andréa Schatt, 2007