Dans le ciel des hommes, le pain des étoiles me sembla ténébreux et durci, mais dans leurs mains étroites je lus la joute de ces étoiles en invitant d'autres : émigrantes du pont encore rêveuses ; j'en recueillis la sueur dorée, et par moi la terre cessa de mourir. René Char, "Lutteurs"
Antoine Petel, lutteur étoilé
Exposition "Cristaux et pollen" Galerie Mansard, dec 2019-jan 2020
Antoine Petel est un plasticien poète. Il ne cherche pas à résoudre, il questionne, il ouvre, se tourne vers cosmos, les pieds enracinés dans le vivant. Ses œuvres protéiformes sont autant d’avènements. Entre hasard et nécessité, entre arborescences mentales et organiques, il explore la matière et la conscience. Les formes qui en résultent sont autant d’éclats en expansion ou de bulles de questionnements s’arpégeant en variations colorées.
DE PLAIN-PIED AVEC LA MATIÈRE
L’artiste agite les particules du vivant et invente des procédés plastiques. Il part de cette tentative : peut-on agir avec la matière comme on voit la matière agir ? « J’observe le mécanisme en moi-même : de quoi suis-je fait ? » Il entreprend une exploration de la dynamique de la matière, entre projection, allégorie et représentation. En tant que système conscient, nous représentons peut-être la structure la plus aboutie de la matière, pourtant, nous n'en sommes qu’une forme provisoire, suppose l’artiste, elle évoluera encore… En tant que sapiens au regard de l’histoire universelle entamée il y a quelques 14 milliards d’années, nous sommes à peine des nouveauxnés. Pourquoi cette explosion primordiale ? Que faisons-nous là ? Comment habiter cette question constitue le centre du travail d’Antoine Petel. Et dans cette recherche formelle et chromatique joyeuse, réside sans doute le tour de force de l’artiste aux prises avec la matière. En pleines dystopies ambiantes, la déflagration optimiste de son œuvre plastique est de taille. Une œuvre qui précisément interroge les mécanismes même du vivant dans leurs représentation et réception. Le vivre ensemble s’en trouve ainsi éclairé.
DÉPLOIEMENT PROTÉIFORME
Antoine Petel est ébloui par la capacité de la matière à se déployer, à se déplier en formes complexes, développant de nouveaux territoires. Des atomes aux minéraux, des végétaux aux animaux, la matière l'étonne… Dans cette exposition, plusieurs formes sont convoquées : Pollen, cristaux, bulle de pensées… Pour la série Pollen par exemple, au départ il y a le cercle et son centre. La construction de la structure métallique est entendue comme un squelette, elle va conditionner la mise en couleur. Le travail consiste alors à s’adosser à cette ossature et à la valoriser ou au contraire à la déconstruire, à la dérégler en fonction de son inscription dans la temporalité. On assiste ainsi à une sorte d’épigénétique de la forme, qui résulterait de l’activation ou non de facteurs extérieurs. Accidents et variations s’intègrent ainsi dans la constitution formelle. Comme une peau vivante, tendue sur le squelette, la forme plastique prend vie, réceptacle de l’empreinte de l’artiste, lui-même constitué de matière et d’énergie et telle une forme de miroir. La structure se dérègle, le mystère s’accroît…
A contrario de Pollen, à la polysémie végétale, la série Cristaux explore un jeu minéral de facettes angulaires et aiguisées. En révélant la structure intime de l’organisation atomique, elle nous renvoie communément à des choses singulières. L'artiste investit les formes de la nature pour mieux s’éloigner des formes naturelles de leur représentation.
MORPHOGÉNÈSES
A travers la pratique du dessin, les pensées s'écrivent. Antoine Petel aime jouer avec le vide et l’inscription de l’objet dans le réel. Entre le monde visible et ce qui lui échappe. Une sorte d’oscillation entre l’être et le néant. Ainsi dans la lecture de l’objet par rapport à l’esquisse, l’artiste aime rappeler l’idée du dessin. Alors même que sur la structure de l'objet, s'est déposée, en partie, la toile, le motif peint sur celle-ci répond à la forme du dessin dans l’espace. La mise en abyme est ébouriffante. Dans un mouvement circulaire, nous nous retrouvons face à une œuvre qui représente une forme vivante, résultante de l’exploration des lois constitutives du vivant.
RÉSONNANCES SPECTRALES
Les couleurs sont le vecteur de l'échange. Dès lors, pourquoi ne pas explorer tous les possibles du spectre lumineux qui s’y déploie, comme autant de notes musicales ? La peinture et ses pigments évoquent le fragile, le ténu, le délicat et l’éphémère pour l’artiste. Un peu de colle et de pigments, ce n’est rien et pourtant… Le champ des possibles polychromies devient chant polyphonique. Les nuances s’y déploient dans la rythmique des surfaces, produisant une infinité de résonances.
QUESTIONNER LES FORMES DU VIVANT / ESSAYER DE SE RÉFLÉCHIR
Le vivant est support et prétexte à interroger le mécanisme même du vivant. Antoine Petel a l’art de mettre en abyme, et cet abyme, miroir tendu à nos existences, s’ouvre sur des espaces infinis où les possibles se déploient. Nous sommes faits de peu de matière mais en avoir conscience change tout ! La quintessence poétique d’Antoine Petel, suivant la thermodynamique de la matière et articulant des questions existentielles, ouvre des espaces de joie, qui sont aussi des espaces de résistance réservés à l’art. Des espaces de résistance qui interrogent, vibrionnent, étonnent, réunissent et multiplient.
Je suis et nous sommes le vivant protéiforme.
Pulchérie Gadmer